Friedrich Nietzsche : Le mépris universelPar Ender, lundi 11 décembre 2000
Avant-proposDu fond des âges, la lumière luit encore à celui qui veut être ébloui, du fond des âges graines semées, à la lumière fanée germent dans le sol rocailleux.
Le présent article est un hymne à la gloire de l'esprit libérateur, de la pensée fondatrice de la nouvelle Aurore, de l'homme le plus méprisant qui ai pu exister sur terre. Le mépris est sa force et la force est le mépris. Friedrich Nietzsche n'est en rien un philosophe, il serait plutôt une sorte d'agitateur, un trublion de l'esprit, l'aura intellectuelle qu'il dégage est unique, sa verve nous transporte en des lieux encore vierges des toutes pensées humaines et c'est en cela aussi qu'il est dangereux, pour celui qui ne sait point lire... Mais qu'importe le danger ! Le danger est notre ivresse !
Ici seront présentés les différents aspects du mépris nietzschéen illustrés par quelques extraits de ma sélection provenant de ses différentes oeuvres qui, je l'espère, seront représentatifs. Par cet article, je soutiens aussi le site http://www.mepris.org qui a besoin de bases saines pour son développement en apportant un contenu de haute qualité. Mon premier article se distinguera des médiocres qui l'ont précédé et sera une référence pour les suivants si l'on veut que le site prenne l'essor qu'il mérite.
L'élite aristocratiqueAvec Nietzsche (N.) apparaît le thème récurrent de l'élite aristocratique, du petit nombre, de ceux qui se distinguent. N. veut parler à ceux-là. Parler à seulement ceux qui ont l'ouïe assez fine. Sa verve aidant, son écriture distille un subtil parfum de séduction ralliant ainsi le lecteur à sa cause...
Mais la trêve est courte, retour au redoutable sérieux nietzschéen, à la démonstration implacable, quasi prophétique, de la
Généalogie de la morale. Les mots se font pierre pour démontrer ce que deviens l'homme, ce qu'est devenu l'homme à force de millénaires de décadence. Preuve encore de la force de son mépris.
« Maintenant, les instincts et les penchants contraires ont la suprématie en morale, et l'instinct du troupeau tire progressivement ses conséquences. [...] L'intellectualité supérieure et indépendante, la volonté de solitude, la grande raison apparaissent déjà comme des dangers ; tout ce qui élève l'individu au-dessus du troupeau, tout ce qui fait peur au prochain s'appelle dès lors
mal. L'esprit tolérant, modeste, soumis, égalitaire, qui possède des désirs
mesurés et médiocres, se fait un renom et parvient aux honneurs moraux. [...] Celui qui examine la conscience de l'Européen d'aujourd'hui trouvera toujours à tirer des mille replis et des mille cachettes morales le même impératif, l'impératif de la terreur du troupeau. «Nous voulons qu'un jour il n'y ai plus rien a craindre !» Un jour ! - La volonté, le chemin qui y mène s'appelle aujourd'hui dans toute l'Europe «progrès». »
[Par-delà le bien et le mal]
« L'IDÉE DE «DÉCADENCE». - La défection, la décomposition, le déchet n'ont rien qui soit condamnable en soit même : ils ne sont que la conséquence nécessaire à la vie, de l'augmentation vitale. Le phénomène de décadence est aussi nécessaire que l'épanouissement et le progrès de la vie : nous ne possédons pas le moyen de supprimer ce phénomène. Bien au contraire, la raison exige de lui laisser ses droits. »
[La volonté de puissance]
Le mépris du christianisme atteint son apogée à la fin de l'Antéchrist, avec la promulgation de la
Loi contre le christianisme.
Le mépris des grandsOn pourrait croire que les attaques de Nietzsche se tournent continuellement vers des cibles faciles, les chrétiens, les faibles. Ce serait sous-estimer N., son combat contre la morale n'épargne personne, même les plus grands. Ce sont les grands hommes, ceux qui ont fait l'histoire qui nous laisse la terre en héritage, ils ont façonné la pensée humaine volontairement ou involontairement. On reste éberlué devant la facilité avec laquelle N. ébranle ces personnages les plus éminents.
« Et depuis Platon, tous les théologiens et tous les philosophes suivent la même voie, - c'est-à-dire qu'en morale, l'instinct ou, comme disent les chrétiens, «la foi», ou comme je dis moi, «le troupeau», a triomphé jusqu'à présent. Il faudrait en excepter Descartes, père du rationalisme (et par conséquent, grand-père de la Révolution), qui ne reconnaissait d'autorité qu'à la raison : mais la raison n'est qu'un instrument, et Descartes était superficiel. »
[Par-delà le bien et le mal]
« je n'aime pas davantage ces nouveaux spéculateurs en idéalisme, les antisémites, qui se font l'oeil chrétien, aryen, brave homme, et qui cherchent à exciter tout ce qu'il y a de bêtes à cornes dans le peuple, par un abus exaspérant du procédé d'agitation le plus grossier, la pose morale (si tout charlatanisme de pensée trouve quelque succès dans l'Allemagne d'aujourd'hui, cela tient à l'incontestable et déjà manifeste dépérissement de l'esprit allemand, dont je cherche la cause dans une nourriture trop exclusivement faite de journaux, de politique, de bière et de musique wagnérienne, sans omettre ce qui explique ce régime alimentaire : l'étroitesse et la vanité nationales, le principe énergique mais borné : «Deutschland, Deutschland über Alles», et aussi la
paralysis agitans des «idées modernes»). L'Europe est aujourd'hui riche et inventive surtout en excitants, il semble que rien ne lui soit plus nécessaire que les
stimulantia et les boissons fortes : de là aussi ce gigantesque trafic des idéaux, ces très fortes boissons de l'esprit, de là aussi cette odeur répugnante, nauséabonde, de mensonge et de mauvais alcool, partout répandue. »
[La généalogie de la morale]
Comme ces propos me paraissent familiers, à croire que plus d'un centenaire ne s'était écoulé. À croire que le temps s'est figé, que l'humanité à simplement revêtit un autre manteau, modifiant ainsi uniquement son apparence.
Le cas WagnerLe problème de l'art et de l'art musical en particulier est un sujet qui tient à coeur Nietzsche. Puisque l'existence représente un phénomène esthétique du dégagement de puissance, l'art résultant de ce phénomène lui est intimement lié. Le genre humain et son art ont donc un développement commun, c'est en cela que le
Grand Art est nécessaire.
« LA CULTURE SUPÉRIEURE EST NÉCESSAIREMENT INCOMPRISE ». - Celui qui n'a monté son instrument qu'avec deux cordes, comme les savants qui, en dehors de l'
instinct scientifique, n'ont, de plus, qu'un instinct religieux acquis par éducation, celui-là ne comprend pas les hommes qui savent jouer sur un plus grand nombre de cordes. Il est dans l'essence de la culture supérieure, à plusieurs cordes, d'être toujours interprétée à faux par l'inférieur. »
[Humain trop humain]
L'homme de scienceNous avons vu que rien ni personne n'échappe au mépris de Nietzsche, du
dernier homme aux grands philosophes, des artistes jusqu'aux allemands. Mais il est une espèce d'homme dont nous n'imaginions point qu'il puisse être digne de mépris. Et pourtant, là ou notre oeil a failli, où il s'est heurté au mur de l'invisible, celui de N. voit plus loin encore. Il décèle l'
âme transparente.
« Son âme transparente qui se polit sans cesse ne peut plus affirmer, ne peut plus nier ; il ne commande pas ; il ne détruit pas non plus.
Je ne méprise presque rien - dit-il avec Leibniz ! Qu'on remarque bien ce
presque. Il n'est pas non plus un modèle d'homme ; il ne précède ni ne suit personne ; il se tient, en général, trop loin pour avoir des raisons de prendre parti entre le bien et le mal. Si on l'a si longtemps confondu avec le
philosophe, avec l'homme violent et le créateur césarien de la culture, on lui a fait trop d'honneur et l'on n'a pas reconnu le fond de sa nature : c'est un instrument, une sorte d'esclave, à la vérité un esclave sublime en son genre, par lui même il n'est rien -
presque rien. L'homme objectif est un instrument, un instrument précieux pour mesurer, qui se trouble et se brise facilement, un miroir admirable qu'on doit garder avec soin et honorer, mais il n'est pas un but ; il n'est ni une fin ni un commencement ; il n'est pas un homme qui complète, en qui le
reste de l'existence se justifie, il n'est pas une conclusion - et moins encore un début, une création, une cause première ; rien n'existe en lui qui soit âpre, puissant, basé sur lui-même, rien qui veuille être maître. »
[Par-delà le bien et le mal]
Le plus grand danger de la science est qu'elle ne joue plus uniquement son rôle d'
instrument, qu'elle soit un
but. Cette transformation introduira un nihilisme nouveau, celui de la quête du Saint Graal, de la vérité, la science pour la science. C'est de la mise en commun de la morale et de la science que naîtra ce nihilisme, mais quelle sera l'ampleur de la déception lorsque l'on aura soulevé le voile de la
vérité et que l'on découvrira qu'il n'y a rien à voir ?
« CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE GRECQUE. - L'apparition des philosophes grecs depuis Socrate est un symptôme de décadence ; les instincts anti-helléniques prennent le dessus...
Le « sophiste » est encore entièrement hellénique - de même Anaxagore, Démocrite, les grands Ioniens -, ceux-ci comme forme de transition. La
polis perd la foi en sa culture, considérée comme la seule vraie, à son droit de domination sur les autres
polis... On échange les cultures, c'est-à-dire les « dieux », - on y perd la foi en sa seule prérogative du
deus autochthonus. Le bien et le mal, d'origines différentes, se mêlent : la frontière qui sépare le bien et le mal s'efface... Alors vient le « sophiste »... »
[La volonté de puissance p 253]
Ne me demandez surtout pas quel personnage mettre à la place ! Je le prendrais comme une insulte !
« Les véritables philosophes des Grecs sont ceux qui précèdent Socrate (- avec Socrate quelque chose se transforme). »
[La volonté de puissance p 264 º 240]
À la lecture de cet article, le créateur du site saura prendre les mesure nécessaires.
Ainsi parlait ZarathoustraFriedrich Nietzsche, l'
agitateur. Mais aussi N. le créateur. Avec
Ainsi parlait Zarathoustra, il accomplit l'oeuvre affirmative qui devait nécessairement venir après ses nombreuses oeuvres critiques. Zarathoustra le sans dieu, Zarathoustra l'énigmatique, ses paroles sont hors du temps et seront une référence pour les générations à venir.
« Or Zarathoustra considérait le peuple, et s'étonnait, Lors il parla de la sorte :
L'homme est une corde, entre bête et surhomme tendue, - une corde sur un abîme.
Dangereux de passer, dangereux d'être en chemin, dangereux de se retourner, dangereux de trembler et de rester sur place !
Ce qui chez l'homme est grand, c'est d'être un pont, et de n'être pas un but : ce que chez l'homme on peut aimer, c'est qu'il est un
passage et un
déclin.
J'aime ceux qui ne savent vivre qu'en déclinant, car ils vont au-dessus et au-delà !
J'aime les grands contempteurs, car ils sont grands vénérateurs et vers l'autre rivage flèche de nostalgie.
J'aime ceux qui seulement au-delà des astres ne cherchent une raison de décliner et d'être hosties, mais ceux qui à la Terre se sacrifient pour que la Terre un jour devienne celle du surhomme.
J'aime ceux qui pour connaître vit et qui connaître veut afin qu'un jour vive le surhomme, et de la sorte veut son propre déclin. [...]
Lorsque Zarathoustra eut dit ces paroles, il considéra de nouveau le peuple et se tut. «Les voici devant moi, disait-il à son coeur, il rient ; point ne m'entendent ; ne suis la bouche que veulent ces oreilles.
Faut-il donc d'abord on leur crève les oreilles pour qu'ils apprennent à ouïr avec les yeux ? Faut-il donc cliqueter comme tympanon et comme prêcheurs de carême ? Ou ne croient-ils qu'à celui qui bégaie ?
Ils ont une chose qui les rend fiers. Comment nomment-ils la chose qui les rend fiers ? C'est culture qu'ils la nomment, des chevriers elles les distingue.
Pour quoi ne leur est plaisant qu'on parle de leur « mépris ». Or donc à leur orgueil je veux parler.
Je leur veux parler de ce qui est le plus méprisable ; or c'est
le dernier homme.
Et de la sorte parlait au peuple Zarathoustra :
Le temps est venu pour l'homme de se fixer sa fin.
De sa plus haute espérance le temps est venu pour l'homme de semer le grain.
Encore pour cela est assez riche son terreau. Mais pauvre un jour et domestiqué sera ce terreau et lors n'en pourra naître arbre de haute stature.
Malheur ! Arrive le temps où l'homme au-dessus de l'homme plus ne lancera la flèche et le temps où de vibrer désapprendra la corde de son arc !
Je vous le dis, pour pouvoir engendrer une étoile qui danse il faut en soi-même encore avoir quelque chaos. Je vous le dis, en vous-même il est encore quelques chaos.
Malheur ! Arrive le temps où de l'homme ne naîtra plus aucune étoile. Malheur ! Arrive le temps du plus méprisable des hommes, qui lui-même plus ne se peut mépriser. »
[Ainsi parlait Zarathoustra]